Solo, duo, trio, quatuor

La rencontre entre Raoul J. Brunswyck et Odon Wathelet remonte aux années 1940, alors qu’ils suivent les cours de la section architecture de l’Institut Saint-Luc à Schaerbeek, l’un en néerlandais, l’autre en français. Diplômés respectivement en 1947 et 1948, ils tracent leur route séparément dans les années 1950 : Wathelet s’établit à Léopoldville (l’actuelle Kinshasa), comme architecte principal au service de l’État belge, tandis que Brunswyck, installé à Ganshoren, développe sa clientèle dans le nord-ouest de la capitale.

C’est à son retour en Belgique fin 1960 que Wathelet recroise par hasard la route de Brunswyck. Débordé de travail, ce dernier lui propose aussitôt d’unir leurs talents. En 1961, le duo renoue avec deux anciens camarades de classe, Roger Moureau et Henri Aelbrecht, à l’occasion d’un concours d’envergure à Anvers, auquel participent entre autres Renaat Braem et les Bruxellois Jacques Aron, Frédéric De Becker et Pierre Puttemans : l’aménagement d’un nouveau quartier de près de 3.000 logements sur la rive gauche de l’Escaut. C’est le projet des quatre associés qui est désigné, marquant un tournant dans leurs carrières. Pour mettre au point ce programme titanesque, baptisé Europark, ils partent en 1962 chercher l’inspiration aux USA, où ils sillonnent New York, Washington et Chicago sur la piste des projets les plus modernes.

C’est alors le début d’une intense collaboration, dans laquelle s’épanouissent les personnalités complémentaires du quatuor : Brunswyck et Moureau, les commerciaux, qui assurent les contacts avec les clientèles néerlandophone et francophone, Wathelet le technicien brillant mais réservé, Aelbrecht l’artiste-dessinateur. L’époque est aux grandes campagnes de promotion immobilière et les associés créent en 1963 la société anonyme ECB – Espace Clarté Bâtir, qui acquiert de vastes terrains le long de grandes artères de la seconde couronne, notamment à Jette et Uccle. Les architectes y signent ensemble d’imposantes barres de logements conçues en séries.

Entre Europark, qui ne sera achevé qu’en 1979, et les grands projets d’Espace Clarté Bâtir, le travail ne manque pas. Ce sont Brunswyck et Wathelet qui prennent en charge le chantier anversois, tandis que Moureau et Aelbrecht s’investissent dans ECB. En 1970, Moureau troque même sa casquette d’architecte pour celle de promoteur à la tête de la société. Les trois autres co-signeront des projets pour ECB au moins jusqu’en 1972.

En parallèle, durant les années 1960-1970, Brunswyck et Wathelet enchaînent les projets à deux, signant une cinquantaine d’immeubles à Bruxelles, le premier au dessin des façades et de l’aménagement intérieur, le second à l’élaboration technique des plans : logements principalement, mais également bureaux, école et piscine.

En 1965, les architectes conçoivent leurs nouveaux bureaux au n31 de l’avenue de Villegas, clôturant une enfilade de quatre immeubles de même gabarit initiée huit ans plus tôt avec le no 25. L’ensemble illustre une évolution rapide vers davantage de sobriété dans la première moitié des années 1960 : à la légèreté du style 58 succèdent des formes plus massives, des matériaux plus bruts. C’est la voie du brutalisme, qui devient la marque de fabrique des associés à la fin de la décennie, avec notamment la piscine Louis Namèche à Molenbeek-Saint-Jean (1969), en collaboration avec Aelbrecht. Dans les années 1970, les architectes laissent leur empreinte à Gand, avec la Faculté Economie en Bedrijfskunde de l'Université, devenue l’une des références du brutalisme en Belgique.

Décédé en 1979, Raoul J. Brunswyck ne verra pas la réalisation de son dernier projet, le campus Erasmus Hogeschool, sur le site des anciens abattoirs de Cureghem. Son confrère Henri Aelbrecht décédera deux ans plus tard. Dans les années 1980, Odon Wathelet partira s’installer à Coxyde pendant une quinzaine d’années, avant de revenir à Bruxelles où il est mort en 2002. Établi en Espagne, Roger Moureau a aujourd’hui 97 ans.